Corresponding author: Mounkaila Morou, Laboratoire Central Vétérinaire de Niamey-Niger
Received: 09 Nov 2020 - Accepted: 14 Dec 2021 - Published: 24 Dec 2021
Domain: Epidemiology
Keywords: One Health, Rage humaine, itinéraire, surveillance, Niger
This articles is published as part of the supplement Improving surveillance systems and responding to outbreaks and health events through the West Africa FETP, 2020, commissioned by
This Supplement was funded by the US Centers for Disease Control and Prevention (CDC) through the African Field Epidemiology Network (AFENET).
.©Morou Mounkaila et al. Journal of Interventional Epidemiology and Public Health (ISSN: 2664-2824). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Morou Mounkaila et al. Rage humaine et itinéraire médical au Niger: A propos d’un cas confirmé par RT- qPCR en 2019. Journal of Interventional Epidemiology and Public Health. 2021;4(3):17. [doi: 10.11604/JIEPH.supp.2021.4.3.1136]
Available online at: https://www.afenet-journal.net/content/series/4/3/17/full
Rage humaine et itinéraire médical au Niger: A propos d´un cas confirmé par RT- qPCR en 2019
Human rabies and the medical route in Niger: About a case confirmed by RT- qPCR in 2019
Morou Mounkaila1, Bayaki Saka2, Gado Amadou Mahamadou1, Lagaré Adamou3, Ibrahim Maman Laminou4
1Laboratoire Central Vétérinaire de Niamey, Niger, 2Service de dermatologie et IST, CHU Sylvanus Olympio ; Université de Lomé, Togo, 3Service des maladies infectieuses, Hôpital National Niamey, Niger, 4Centre de Recherche Médicale et Sanitaire de Niamey, Niger.
&Auteur correspondant
Mounkaila Morou, Laboratoire Central Vétérinaire de Niamey-Niger. mouk67@yahoo.com
La rage est une zoonose virale, endémique en Afrique. Elle a une létalité de 100%. Cette étude rapporte le premier cas de rage humaine confirmé par RT-qPCR au Niger. En Octobre 2019, un patient de 22 ans avait consulté pour des difficultés à manger, à boire et une agitation. Il fut traité pour un paludisme. Devant la persistance des signes, il fut transféré à l’hôpital National de Niamey. Un interrogatoire poussé a révélé une notion de morsure par un chien. A l’examen, le patient était agité, agressif et présentait une paralysie de la jambe gauche. Ses yeux étaient congestionnés et il avait une hyper sialorrhée. Il fut suspecté de rage et fut isolé et pris en charge et la procédure «One Health» a été déclenchée. Il a été mis sous tranquillisant. Une biopsie nucale et un prélèvement de salive furent réalisés et envoyées à l’Institut Pasteur de Dakar. La rage fut confirmée par RT-qPCR. L’observation et l’analyse du parcours médical de ce cas de rage humaine, et des facteurs de risque ont permis de mettre en évidence des insuffisances dans le suivi des chiens, les connaissances, les attitudes et les pratiques sur la rage. Des insuffisances dans la surveillance épidémiologique et microbiologique et dans la gestion des cas ont également été notées. Ces observations confirment les résultats des outils d’évaluations (SARE et PVS) du réseau de surveillance de la rage canine au Niger.
Rabies is a viral zoonosis, endemic in Africa. It is 100% lethal. This study reports the first case of human rabies confirmed by RT-PCR in Niger. In October 2019, a 22-year-old patient had consulted for difficulty eating, drinking and restlessness. He was treated for malaria. Faced with the persistence of the signs, he was transferred to the Niamey National Hospital. A thorough interrogation revealed a notion of dog bite. On examination, the patient was restless, aggressive and presented a left leg paralysis. His eyes were congested and he had a hyper sialorrhea. He was suspected for rabies, isolated, and treated and the “One Health” procedure was initiated. He received a tranquilizer. The nuchal biopsy and saliva sample collection were performed and sent to the Pasteur Institute in Dakar. Rabies was confirmed by RT q PCR. The observation and analysis of the medical history of this case of human rabies, and the risk factors made it possible to highlight flaws in the monitoring of dogs, knowledge, attitudes and practices on rabies, microbiological and epidemiological surveillance, and finally case management. It also identified the reasons for the underreporting of rabies cases. These observations confirm the results of the assessment tools (SARE and PVS) of the canine rabies surveillance network in Niger.
Key words: One health, Human rabies, route, surveillance, Niger
La rage est une maladie infectieuse, virulente et inoculable due à un rhabdovirus à ARN monocaténaire, de sens négatif et non segmenté. C´est une zoonose qui affecte tous les animaux à sang chaud. Elle entraine un dysfonctionnement du système nerveux, le plus souvent mortel. Les chiens et les chats sont généralement responsables des morsures. Les chiens sont responsables de 60 à 80 % de ces blessures, tandis que les chats le sont dans 20 à 40 % des cas. La rage tue plus de 60 000 personnes par an dans le monde d´après l´organisation mondiale de la santé (OMS) dont une majorité d´enfants (environ 50 % des cas) [1]. Ces derniers sont les plus affectés en raison de leur comportement provocateur et de leur faible stature, qui expose leur visage à la portée de l´animal [2]. Environ deux tiers des cas surviennent dans les pays en voie de développement d´Asie et d´Afrique [1]. Ainsi, avec plus de 3 milliards de personnes à risque, cette maladie entraîne également dans ces pays un coût financier de plus de 6 milliards de dollars américain (USD) [3].
Le Niger (Lat.11°37, 23°33 Nord et Long : 0°06 ; 16 Est.) a une population estimée à 23 000 000 habitants avec plus 50% d´enfants de moins de 15 ans qui représentent le principal groupe à risque de rage[4,5]. Par ailleurs, le Niger compte une population canine estimée à 3 500 000, en majorité errante et non vaccinée [4,6]. Aussi, malgré l´endémicité de la rage canine au Niger et les fréquentes expositions humaines (morsures de chien, griffures de chat), aucun cas de rage humaine n´avait été diagnostiqué par les méthodes biologiques agréées. En effet, le diagnostic est souvent fait sur la base des arguments épidémiologiques et cliniques sans confirmation biologique [2]. Pourtant, la rage fait partie des maladies à déclaration obligatoire, sous surveillance par le Ministère chargé de la santé publique. C´est dans ce contexte qu´a été diagnostiqué le premier cas de rage humaine. Cette étude a pour objectif de décrire l´itinéraire médical de ce patient enragé.
Considérations éthiques
Cette étude a été autorisée par la Direction de l´Hôpital National de Niamey et la Direction Générale des Services Vétérinaires. La confidentialité des données a été protégée. La biopsie nucale et le prélèvement de salive ont été réalisés in vitam en respectant les règles de la bioéthique. Le consentement des parents légaux a été obtenu.
En Octobre 2019, Monsieur X, de sexe masculin, âgé de 22 ans, habitant le village de Makalondi, qui est contigu à la réserve faunique du Parc du W, se présenta au district sanitaire de sa commune pour des difficultés à manger, à boire et une agitation. A l´anamnèse, le patient rapportait qu´Il était traité pour ces symptômes à domicile au moyen de décoctions. L´examen physique notait des difficultés à effectuer les mouvements voire une impossibilité totale. Le patient fut traité pour un paludisme sans réelle amélioration clinique. Devant la persistance de la symptomatologie, il fut transféré trois jours plus tard à l´hôpital National de Niamey au pavillon des maladies infectieuses pour une suspicion de neuropaludisme. Un nouvel interrogatoire plus poussé des accompagnants révélait que le patient avait été mordu à la jambe gauche par son propre chien le 11 Aout 2019.
A l´examen, il était hyper agité, agressif et présentait une paralysie progressive de la jambe gauche. Ses yeux étaient congestionnés et il avait une hyper salivation. Le patient fut isolé et pris en charge comme un cas suspect de rage. Le patient a été mis sous sédatif pour réduire l´agitation. La procédure «One Health » fut déclenchée : Le Ministère en charge de la Santé, le ministère de l´élevage et de l´environnement ont été avisés. Le Niger ne disposant pas de laboratoire pour le diagnostic de la rage humaine, la biopsie nucale et le prélèvement de salive ont été réalisés in vitam le 25 octobre 2019. Les échantillons ont été envoyés selon le principe de biosécurité de triple emballage à l´Institut Pasteur de Dakar au Sénégal pour confirmation. Après réception des prélèvements et analyse le 6 novembre 2019, la suspicion fut confirmée par RT-qPCR et le résultat obtenu le 8 novembre 2019.
L´analyse du parcours de ce cas de rage met en exergue des insuffisances dans la détection, la notification, la connaissance des facteurs de risque et la prise en charge de cas et du foyer de la rage (Makalondi). En effet, la suspicion de la rage a été confondue à un cas de neuropaludisme. Les antipaludiques administrés tout comme la décoction témoigne d´une méconnaissance de la prise en charge. Aussi, le chien mordeur n´avait jamais été vacciné, ce qui exposait son maitre, la communauté et les autres animaux qui sont susceptibles au virus rabique [7]. Sur le plan vaccinal, le chien mordeur était non vacciné malgré l´existence des textes juridiques rendant obligatoire la vaccination anti rabique. Cela n´est guère surprenant car la vaccination des animaux contre la rage n´est pas encore dans les habitudes de la population. Cette situation entretient l´endémicité de la rage canine. Lembo et al. [8] confirment que pour rompre le cycle de transmission du virus rabique, il faut qu´au moins 70% de la population canine soit vaccinée, ce qui contraste avec la situation du Niger [2].
Du fait de l´absence des services vétérinaires dans le village et surtout la mort prématurée du chien mordeur, aucune procédure de mise en observation ne fut possible. Sur le plan de la fonction du chien mordeur, c´était un chien de chasse et de gardiennage. Son premier devoir était de capturer des gibiers pour son propriétaire. De ce fait il était soumis à des risques d´exposition pendant la chasse. En effet, il pouvait être mordu pendant cette activité par des réservoirs sauvages dont le chacal et le renard présents dans la zone du Parc W au Niger. Réciproquement, ce chien pouvait contribuer à la diffusion du virus dans la faune pendant sa longue période d´incubation et complexifier l´éradication de la rage dans le parc dont le village est adjacent [9]. Une transmission du virus dans la faune du parc était également une menace pour la biodiversité comme confirmée par une étude conduite au Nigeria [10].
L´attitude du propriétaire du chien après l´exposition montre qu´il n´avait pas une bonne connaissance du risque qu´il courait. La morsure d´un propriétaire par son propre chien et suivie de sa mort doit interpeler car cette morsure était typique des chiens enragés. Au Nigeria et Burkina, des études conduites par Ameh et al. avaient confirmé cette méconnaissance des risques d´infection rabique [11]. Cependant, dans une autre étude évaluative sur les connaissances, attitudes et pratiques (CAP) sur la rage, conduite en Ethiopie par Hagos et al. [12], 56% des propriétaires avaient des bonnes connaissances, des bonnes pratiques et des bonnes attitudes par rapport à la prévention de la rage. Tout comme au Burkina 80,7% connaissaient la rage [13].
Le recours à la médecine traditionnelle prouvait en outre, que le propriétaire du chien n´avait pas une bonne connaissance du protocole des premiers soins. En effet, en lieu et place d´un lavage abondant à l´eau et au savon, il s´était traité avec des décoctions. Cela met en exergue un besoin réel de sensibilisation à l´endroit de la population [7]. Cette observation était en adéquation avec l´étude conduite par Lunney et al. [14] qui révélait que 5 % (4/75) des personnes mordues faisaient recours à la médecine traditionnelle et près de 10% (7/75) n´avaient eu recours à aucun traitement. Au plan de la détection qui est le critère cardinal d´un système de surveillance, le Centre de Santé Intégré (CSI) et le District Sanitaire (DS) de Makalondi, qui sont la base de la pyramide de la surveillance sanitaire nationale n´avaient pas suspecté la rage. En effet, la rage fut confondue au neuropaludisme. De ce fait, le système de surveillance n´a pas été sensible, et encore moins spécifique. Cette situation s´observe aussi dans les pays voisins comme le Burkina Faso [15].
Ce manquement représente un gap important à combler par un renforcement des capacités [16]. Broban et al. [6] corroboraient cette nécessité comme le seul moyen pour l´éradication de la rage. Les organisations comme Africain Rabies Expert (Afro Rab), the Rabies in West Africa group (RIWA), the Global Alliance for Rabies Control (GARC), the Pan-African Rabies Control Network (PARACON), plaident toutes en faveur d´un renforcement de la surveillance de la rage [6]. En effet, l´absence des données bloque non seulement le financement de l´éradication mais aussi l´évaluation des succès enregistrés. Par rapport à la promptitude, le délai entre la date de l´exposition et celle du résultat (Août au 11 novembre soit environ 3 mois) avait mis en évidence une insuffisance de la surveillance. Tout retard dans la prise en charge du patient réduit les chances de succès du traitement post exposition et de survie [16].
Au plan de la surveillance, le dispositif de surveillance « One Health » représentait l´atout majeur du système car il a permis une collaboration étroite entre les agents de la surveillance des deux principaux secteurs notamment ceux chargés de la santé publique et les vétérinaires. Elle a été proposée comme la méthode la plus efficiente pour une gestion holistique des foyers de rage par Fitzpatrick et al.[14]. Aussi Vigilato et al. [17] ont démontré que l´approche « One Health » était la voie par laquelle la rage avait été éliminée en Amérique latine et dans les Caraïbes. En effet, en 30 ans, le nombre de cas de chiens enragés confirmés au laboratoire a décru de 25 000 cas en 1980 à 300 cas en 2010. Par rapport à la gestion du foyer, on note également une insuffisance, car le foyer (à proximité du parc W) est contigu au Burkina et au Niger. Puisque la rage est une maladie transfrontalière, elle devrait être gérée conjointement par les cadres de la surveillance des maladies de deux pays. En effet, les maladies transfrontalières sont des risques de portée internationale qui peuvent être une menace non seulement contre les humains mais aussi contre la faune donc la biodiversité.
Concernant la prise en charge du patient à l´hôpital, le personnel de santé avait administré seulement des sédatifs et des solutés. Enfin, au plan de capacité de diagnostic, l´absence d´un laboratoire de diagnostic de la rage humaine au Niger complique la situation et écarte toute possibilité d´éradication car seul un diagnostic biologique permettra d´apprécier les succès dans le contrôle de la rage. Toutefois, dans le cadre de l´approche One health, la collaboration entre les différents secteurs d´activité devrait permettre de pouvoir confirmer les cas de rage humaine à travers une enquête épidémiologique, la mise en observation des animaux mordeur et le diagnostic de laboratoire.
Ce premier cas n’est que le sommet d’un iceberg et confirme l’évaluation du SARE (Stepwise Approach for Rabies Eradication) et le PVS (Performance of Veterinary Services). La surveillance de la rage qui est une zoonose majeure présente des insuffisances notamment au niveau des textes juridiques, de la communication, des compétences humaines, des infrastructures et des équipements. Le Niger doit se doter urgemment d’un plan stratégique de contrôle de la rage pour être au rendez-vous du moratoire de 2030.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt
MM a rédigé le premier draft du manuscrit et a contribué activement à la prise en charge du cas dans le cadre de l’approche one Health. GAM a supervisé la collecte du prélèvement biopsie et de l’écouvillon. BS a participé à la rédaction et relecture du manuscrit. IML a contribué à la rédaction de l’article. Tous les auteurs ont approuvé la version finale du manuscrit.
Nous remercions les responsables de CDC, d’AFENET, et ceux du programme WA/FELTP pour avoir initié cet atelier de renforcement capacité en rédaction scientifique des membres du réseau Francophone de l’épidémiologie d’intervention. Nous remercions également l’Institut Pasteur de Dakar pour la confirmation biologique du cas.
One Health
Rage humaine
Itinéraire
Surveillance
Niger
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